Le luthéranisme est-il progressiste?

À cette question, Emmanuel Macron répond par l’affirmative, pour opposer les Danois aux  » Gaulois réfractaires « . On peut s’étonner de cette affirmation qui, au plan politique tout au moins, s’avère fausse, ce que personne n’a relevé dans le milieu des journalistes. Je voudrais reprendre cette question aux incidences importantes sur trois points : la théorie des deux règnes, l’attitude face au nazisme, la question théologico-politique.

1) Luther et sa théorie des deux règnes

Luther a exposé en pratique sa théorie sur la séparation totale du règne de Dieu et de celui de César. Lors de la Guerre des paysans inspirée par Thomas Münzer, il a dit aux princes Allemands d’écraser les paysans qu’il appelle  » des chiens « . On peut difficilement faire plus clair !
Notons que Dietrich Bonhoeffer, qui participa au complot visant à assassiner Hitler, déclarait dans son grand livre L’éthique :  » Elles se trouvent au-delà du bien et du mal dans un certain sens  »  (p. 287 de l’édition Labor et Fides ). Il désigne alors les autorités politiques. C’est son arrestation et sa détention qui le conduiront à écrire Résistance et soumission. Cela est trop souvent occulté par les théologiens luthériens français et allemands. Bonhoeffer est même allé jusqu’à écrire à la page 291 de L’éthique :  » Une décision historique (de désobéissance) ne peut procéder de notions éthiques « .  Phrase ahurissante mais typiquement luthérienne.

2) L’attitude face au nazisme

Comme l’ont montré des politistes scandinaves (Larsen et Hagtvet dans leur livre Who were the Fascists? publié chez Bergen en 1980, ce sont les régions rurales et luthériennes de l’Allemagne qui ont le plus voté pour le parti National-socialiste en 1932 et 1933. Les catholiques ont beaucoup moins voté pour le parti de Hitler. On retrouve ici l’influence manifeste de la théorie des deux règnes. Puisque César est maître dans le domaine politique, il est illégitime de s’y opposer. Souvenons-nous que sous le nazisme le groupe qui s’est nommé : « Les chrétiens Allemands » soutenait totalement Hitler. Ce groupe était luthérien.

On a envie de demander à E. Macron où est le progressisme dans cette affaire. On les aurait aimés plus réfractaires, ces luthériens! Martin Niemöller a été plus que minoritaire en inspirant, avec le calviniste Karl Barth la déclaration de Barmen en 1934, dans laquelle on peut lire :  » Wir haben nur ein führer  »  ( » Nous n’avons qu’un führer  » – Jésus-Christ).

3) La question théologico-politique

La théologie catholique a toujours distingué le domaine de Dieu et celui de César depuis la célèbre réponse de Jésus de Nazareth :  » Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César « . La pensée protestante (qu’elle soit calviniste ou luthérienne) récuse la notion de loi naturelle. Or la loi naturelle permet de fixer des limites au politique, et de le critiquer lorsqu’il veut ériger la loi positive au-dessus de la loi naturelle (voir mon article :  » De la pertinence de la loi naturelle pour évaluer la loi positive « , in : Société, Droit & Religion, éditions du CNRS, 2017). La loi sur le « mariage homosexuel «  est concernée ; elle est contraire à la loi naturelle… à moins qu’on qualifie cette dernière de  »  progressiste  » !!!

Jacques Rollet

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