[Ce texte a été rédigé quelques jours après l’assassinat du Père Jacques Hamel le 26 juillet 2016]
Les événements dramatiques de ces dernières semaines en France (Nice, Saint-Etienne du Rouvray) donnent lieu à des célébrations civiles et religieuses où domine la bonne volonté accompagnée de bougies et de fleurs. Le phénomène est plutôt réconfortant et sympathique mais il va falloir aller au-delà sous peine de régresser gravement et définitivement. L’ampleur de l’émotion doit donner à penser, et déclarer comme le font certains « intellectuels » que c’est Nuit debout qui va lutter contre Daesh est tragi-comique.
Pour penser le phénomène terroriste islamiste, il faut en bonne analyse phénoménologique, le prendre tel qu’il se présente et s’énonce, et ne pas parler de manipulation. C’est la tentation de ceux qui ne veulent pas regarder la réalité en face. Les terroristes seraient de pauvres individus manipulés, fous et/ou incultes.
Rappelons que les auteurs du 11 septembre 2001 étaient des diplômés de l’enseignement supérieur. Le pape François, dans ses déclarations au retour de Cracovie donne dans un « bourdieusisme » selon lequel la mondialisation, l’argent, le libéralisme seraient responsables du terrorisme. Pourquoi faut-il aller chercher ailleurs que dans le phénomène, son explication ? L’intellectuel qui fonctionne ainsi développe une mythologie dont il détient le secret. Il pense s’assurer une supériorité qui se révèle être une impasse. Bourdieu pensait savoir mieux que les ouvriers, ce qu’ils vivaient. Jacques Rancière dans Le philosophe et ses pauvres a fait justice de cette attitude qui enferme les « dominés » dans leur état.
Le phénomène central, qui nous conduit à l’essence de la réalité, est que tous les terroristes depuis janvier 2015 en France se réclament de l’islam pour revendiquer et justifier leurs actes de mort. Les musulmans en France depuis la mort du père Hamel, le reconnaissent pratiquement en se démarquant clairement de ces horreurs.
Qu’est-ce qui dans le contenu de la religion musulmane peut expliquer ces comportements ? Il se trouve que dans le Coran, les sourates de Médine sont les plus violentes et que plusieurs d’entre elles appellent à poursuivre les « infidèles » et à les tuer s’ils ne se soumettent pas. Il est même écrit que le musulman qui ne combat pas dans ce cas là, doit être poursuivi également. Le syrien du XIVème siècle Ibn Taymiyya a théorisé cela, et il faut savoir qu’il est la référence principale des Frères musulmans. Si l’on ajoute le fait que pour tout musulman le Coran est matériellement sacré, donc inchangeable, on mesure la supériorité objective des islamistes quant à la lecture du texte.
Les musulmans « modérés » sont très embarrassés quand il s’agit de déclarer
« caduques » les sourates qui appellent à la violence. Si l’on veut trouver un indice du problème, il suffit de reprendre l’ouvrage publié par Joseph Maïla et Mohamed Arkoun : De Manhattan à Bagdad, DDB, 2003. Arkoun, qui était un intellectuel soucieux de réformer l’islam et sa lecture, n’est par parvenu dans ce livre à nous donner une lecture des sourates qui auraient aboli leur violence.
Il faut se tourner vers les deux grands classiques de l’analyse causale en sociologie que sont Max Weber et Raymond Aron. Récusant tout déterminisme dans les phénomènes humains, ils établissent ce que Weber a appelé « la causalité du possible ou du probable ». Il y a des données qui rendent possible un phénomène singulier. Ainsi, si les Grecs n’avaient pas gagné la bataille de Marathon, il est probable que nous n’aurions pas connu la culture grecque. (Voir : Concepts fondamentaux de sociologie, Gallimard, 2016).
De même Raymond Aron dans Démocratie et totalitarisme, montre très bien que si Staline est un phénomène paroxystique, il n’aurait pas été possible sans le léninisme. Nous avons recours à l’explication qui repose sur une sociologie qui veut à la fois comprendre et expliquer.
En d’autres termes si tous les musulmans ne sont évidemment pas islamistes, tous les islamistes sont authentiquement musulmans. Tel est le problème à traiter. Il faut bel et bien relire Weber et Aron pour éviter de traiter les faits sociaux comme des choses !
Jacques Rollet