Vers une démocratie virtuelle?

Le bouleversement du paysage politique français 

Le « tsunami » électoral de mai-juin 2017 a provoqué un effondrement des grands partis politiques et des idéologies dont ils se réclamaient. C’est le cas du Parti Communiste Français puis du Parti Socialiste qui a implosé au point de n’avoir plus que 31 députés.
Il en est de même pour les écologistes qui se sont autodétruits. La tradition démocrate- chrétienne avec le Mouvement Républicain Populaire (MRP) disparu en 1965 a laissé la place à de petites formations en perpétuelles recompositions dont il est difficile de suivre l’évolution. Il en est de même pour les Radicaux.

La droite classique sort affaiblie et divisée après l’échec de son candidat aux élections présidentielles et doit reconstruire sa doctrine. Le gaullisme devient une relique barbare, le libéralisme n’est pas très en vogue, sans parler du  « conservatisme » considéré comme honteux en France. L’enjeu pour Les Républicains est de reconstruire une doctrine cohérente avec ces différentes familles.

Quant à Emmanuel Macron, il a créé ex nihilo une formation politique chargée de lui servir de relais à l’Assemblée nationale. Cette nouvelle formation composée d’hommes et de femmes provenant de tous horizons politiques, que ce soit de l’écologie, du Parti Socialiste, de la nébuleuse centriste, ou de la droite, sans parler de ceux de la société civile, est hétérogène et seul le président en assure la cohérence.

Il reste enfin aux deux extrêmes de l’échiquier politique, des mouvements qualifiés de « populistes »,  à savoir le mouvement La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon et le Front National de Marine Le Pen, probablement rebaptisé « Rassemblement national » d’ici quelques semaines. L’utilité politique de ces deux formations est d’empêcher l’émergence d’une opposition crédible, et ainsi proposer une alternative au pouvoir en place, à savoir Les Républicains à droite et le Parti Socialiste à gauche.

La démocratie en crise

Cette décomposition du paysage politique engendre chez un nombre de plus en plus grand d’électeurs un désintérêt pour la politique car ils ont perdu leurs repères et ne savent plus quelle formation politique soutenir. De plus les électeurs ont constaté l’impuissance des politiques à résoudre les grands problèmes de notre société.

Dans un premier temps, les électeurs ont pensé qu’en pratiquant ce que l’on appelle le « dégagisme », qui consiste à « sortir les sortants »,  ils allaient apporter une solution. Il n’en a rien été. Des électeurs, de plus en plus nombreux, se sont alors réfugiés dans l’abstention. D’autres électeurs ont décidé pour faire entendre leur mécontentement  d’opter pour le vote «protestataire» en apportant leurs voix à des formations  « populistes » de droite comme de gauche.

Le désintérêt pour la vie politique, l’augmentation de l’abstention à chaque élection et la  croissance du vote protestataire caractérisent la crise que connaît notre  démocratie.

La crise de l’idéologie républicaine

A cela s’ajoute une crise de l’idéologie républicaine, soubassement de la République française. Elle s’est effritée lentement depuis 1968, confrontée à la globalisation générant des phénomènes nouveaux comme les délocalisations provoquant la désindustrialisation et le chômage de masse,  l’immigration,  la modification des valeurs de la société avec la montée de l’individualisme. On constate que l’idéologie républicaine est déstabilisée et se trouve dans l’incapacité d’apporter des solutions. C’est pour cela que les politiques ne font que répéter comme des « mantras » les dogmes de l’idéologie républicaine vides de sens, alors que la société française s’est américanisée pour entrer dans la globalisation.   Comment concilier la solidarité, la fraternité, avec des droits individuels toujours plus importants qui vont à l’encontre de tout bien commun ? L’idéologie républicaine se trouve inadaptée à la globalisation. Comme le canard, elle n’a plus de tête mais elle continue de courir !

Le retour d’un pouvoir technocratique   ?

On a inventé le terme de « démocrature » pour parler des pays qui sont entrés dans la globalisation mais ne sont pas encore des démocraties (comme la Chine), et celui de démocratie « illibérale » pour des pays européens membres de l’Union européenne comme la Hongrie. Comment alors qualifier les démocraties anciennes qui renforcent toujours plus leur pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif (Parlement) sous le prétexte d’agir avec plus d’efficacité ?

En France, on constate la renaissance du phénomène technocratique qui s’apparente à celui des années trente, avec l’apparition d’un mouvement de rénovation de l’économie française. C’est l’exemple notamment des polytechniciens qui avaient constitué le « Centre Polytechnicien d’études économiques » (CPEE)  appelé « X-Crise » dont l’objet était d’apporter grâce à son « expertise » des solutions à la crise économique des années trente avec une conception technocratique de l’État social.  Pour eux, l’application d’une méthode scientifique est plus efficace pour résoudre un problème économique qu’une approche idéologique. Ils sont pour une intervention forte de l’État.

Ils vont jouer un rôle important lors du Front populaire, puis au début du régime de Vichy comme le montre Olivier Dard : « La défaite venue, on retrouve certains  d’entre eux, à l’exception notable de Jean Coutrot, au service du gouvernement de Vichy où ils jouent dans le nouveau système un rôle non négligeable et tentent d’influer sur les orientations de l’Économie nouvelle », enfin ils « subiront les retombées et les difficultés occasionnées par le suicide de Jean Coutrot en mai 1941 et seront mis en cause dans l’affaire de la Synarchie ». La Libération  « permet à la fraction résistante du Centre d’occuper, dans la sphère publique, des fonctions importantes, au niveau politique ».[1] Le groupe X-Crise a « fourni par conséquent aux différents gouvernements un vivier de techniciens » qui ont appris une méthode reposant sur une conception dirigiste.

L’idée d’un exécutif fort composé d’experts pour moderniser et adapter la France à la globalisation paraît de nouveau d’actualité. Les débats idéologiques sont jugés inefficaces,  ne font que ralentir la mise en place des réformes et sont donc inutiles. Il semble que cette nouvelle élite plus jeune qui a accédé au pouvoir en juin 2017 et remplacé celle des « baby boomers », soit tentée par cette conception plus autoritaire.

Or, elle semble recevoir un écho favorable au sein de la population, notamment chez les jeunes. En effet, face à l’impuissance de la classe politique à résoudre les grands problèmes de la société, on constate une demande  de plus en plus grande d’« autorité » dans la population, à la fois chez les plus faibles mais aussi ce qui est nouveau chez les jeunes diplômés travaillant notamment dans les nouvelles technologies.[2]

La réforme institutionnelle

Le projet de réforme de la constitution semble s’orienter vers un renforcement de l’exécutif sous prétexte de modernisme. Or, cette évolution ne semble pas inquiéter les électeurs. En effet selon un récent sondage Odox pour Le Figaro et France Info, la réforme institutionnelle apparaît utile pour 8 français sur 10, alors que le projet propose de réduire le nombre de parlementaires, de limiter le nombre de mandats identiques ou successifs, d’introduire une dose de proportionnelle aux élections législatives. Sous le prétexte de « modernisation » on cherche aussi à restreindre la capacité d’amendements de l’Assemblée. Les candidats à la députation n’auront aucun ancrage territorial, seront dans l’incapacité de se « professionnaliser » en assurant plusieurs mandats. L’argument avancé est qu’il est impossible de trouver suffisamment de gens compétents pour occuper toutes les places actuelles. La solution consiste donc à réduire leur nombre.  Le projet de réforme des institutions, sous le prétexte d’efficacité, ne fait que renforcer le pouvoir de l’exécutif. Il ne restera plus qu’à supprimer le référendum comme l’ont fait les députés néerlandais le 22 février dernier pour éliminer l’intervention erratique et imprévisible des électeurs dans la vie politique.

Vers une démocratie virtuelle ?

Des mesures sont adoptées depuis quelques années dans les démocraties pour instaurer un pouvoir exécutif fort aux mains d’une élite de plus en plus restreinte qui aura les capacités de gouverner et de contrôler les populations grâce à l’aide des nouvelles technologies basées sur l’intelligence artificielle, l’informatique, les algorithmes.

L’industrie médiatique sera un outil puissant pour manipuler les populations en  leur faisant prendre un monde virtuel pour la réalité. Nous risquons d’entrer dans une démocratie « virtuelle » qui serait encore plus subtile que le monde inventé par Orwell ou La société du spectacle décrite par Guy Debord.[3]

Patrice Buffotot, le 15 mars 2018

 

[1] Olivier Dard. « Voyage à l’intérieur d’X-Crise ». in Vingtième Siècle, revue d’histoire, N°47, juillet-septembre 1995, p. 145.

[2] Voir à ce sujet l’ouvrage de Yascha Mounk, The People vs Democracy. Why Our Freedom Is in Danger and How to Save It , Havard University Press, mars 2018. 400 pages.

[3] George Orwell, 1984 publié en 1949 et Guy Debord, La société du spectacle, 1971 qui a été suivi du Commentaires sur la société du spectacle, 1988.

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