C’est sous ce titre que Bernard Bourdin publie aux éditions du Cerf son nouveau livre. L’ambition de l’auteur, connu pour ses travaux sur Carl Schmitt et Erik Peterson, est considérable. Il s’agit de statuer sur la place et le rôle des chrétiens, et particulièrement des catholiques, dans les sociétés contemporaines marquées par la sécularisation.
D’emblée, il nous propose de remplacer le « chrétien-citoyen » par le « citoyen – chrétien ». Cette évolution suppose qu’on approuve les effets de la modernité sécularisante. Le chrétien est supposé avoir accepté la modification fondamentale qui consiste à quitter les rivages de l’intégralisme catholique tel que le théorisait Jacques Maritain dans son livre classique Humanisme intégral.
Dans sa version amoindrie, celle de Vatican II, l’intégralisme est toujours la référence officielle de l’Eglise catholique. Bernard Bourdin nous propose une nouvelle voie. Il inaugure un « intégralisme soft » : le chrétien est désormais d’abord un citoyen, membre d’une nation, ouvert à l’universel ; c’est dans ce cadre qu’il va faire jouer ce que l’auteur nomme la « décoincidence », c’est-à-dire la transcendance rendue possible par la foi. Il s’agit d’aller au-delà de toute réalisation sociale ou politique. Cela vaut pour la vie politique classique comme pour l’écologie telle que l’envisage le pape François.
Bernard Bourdin prend donc ses distances avec la problématique du théologico-politique telle que l’a formulée Carl Schmitt mais également avec la théologie de Jean-Baptiste Metz. On regrettera qu’il ne traite pas de Kelsen comme il la fait excellemment dans la revue Droits n° 73. Il y montre que le positivisme juridique ne peut justifier la démocratie car il ne met pas de distance entre le légal et le légitime.
J’aimerais faire trois remarques au sujet de cette élaboration, sans rien ôter au mérite de l’auteur. Je pense que Jean-Baptiste Metz, avec ses deux concepts de « réserve eschatologique » et de memoria Christi, rend davantage perceptible la nouveauté chrétienne.
La « réserve eschatologique » désigne le fait que l’Esprit-Saint conduit sans cesse le chrétien au-delà de toute réalisation particulière. C’est en ce sens que le chrétien n’est pas marxiste. La memoria Christi nous dit que la Croix est le marqueur central de la foi chrétienne sur la base de la résurrection.
Paul, dans la lettre aux Corinthiens et Hegel, dans ses Leçons sur la philosophie de la religion nous l’ont montré : le signe du déshonneur est devenu la marque de la transcendance de Dieu .
Ma deuxième remarque porte sur l’absence de référence à la loi naturelle. Elle repose sur le fait qu’il y a une nature humaine qui permet d’éviter le relativisme. J’en ai traité dans La tentation relativiste et dans Religion et politique: le christianisme, l’islam, la démocratie. La nature humaine fonde l’analyse éthique. Elle permet de dire que le mariage homosexuel est un non-sens au sens strict de ces termes, que la PMA sans père est une négation de la procréation, que vouloir introduire l’avortement dans la Constitution est mortifère, sans même aborder la question de l’euthanasie. Le chrétien ne peut rien accepter de tout cela car il sait que l’homme est créature de Dieu, et il peut en conséquence percevoir la finitude de l’homme, discernable dans la constitution de la nature humaine. Il n’est pas nécessaire d’être croyant pour connaître ce qu’est la nature humaine, mais cela aide à percevoir la finitude de l’homme.
En ce sens – et c’est ma troisième remarque – j’aurais aimé que l’auteur développe une théologie de la création. Ces trois notations n’enlèvent rien à l’apport de ce livre. Que Bernard Bourdin prolonge sa réflexion pour notre bonheur !
Jacques Rollet