La fonction patriotique est incarnée de fait par le président de la République grâce aux pouvoirs que lui confère la constitution de la Vème République. Elle consiste à défendre les intérêts vitaux du pays, à assurer la survie de la France et à protéger les Français en cas de guerre. Cette fonction a joué un rôle lors des élections présidentielles jusqu’à la fin de guerre froide en 1991. Depuis, elle est devenue une « relique barbare » dans une société où désormais la guerre a disparu du continent européen. Elle resurgit brusquement avec l’entrée des troupes russes en Ukraine le 24 février dernier, alors que nous sommes en pleine campagne électorale pour les élections présidentielles.
La constitution de la Vème République permet en effet au président de la République, élu au suffrage universel, d’incarner cette « fonction patriotique ». L’article 5 de la Constitution précise que le président « est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ». C’est lui qui détermine la politique étrangère et de défense, qui relèvent toutes deux de son domaine réservé. En cas de menace grave contre les intérêts de la France, c’est le président qui mène la « manœuvre dissuasive » et peut, au stade ultime, menacer l’adversaire de déclencher le feu nucléaire. On sait que la personnalité du président joue un rôle important dans la dissuasion nucléaire. Ne disait-on pas que le président Charles de Gaulle était la dissuasion à lui tout seul ? François Mitterrand l’avait compris en affirmant le 16 novembre 1983 lors d’une émission à Antenne 2 : « La pièce maîtresse de la stratégie de la dissuasion de la France, c’est le chef d’État, c’est moi ! ». Combien d’électeurs, se posent-ils la question de savoir, lorsqu’ils sont dans l’isoloir, quel est le candidat qui incarne le mieux cette fonction ?
La fonction patriotique a joué un rôle lors des présidentielles de 1981. En effet, le président Valéry Giscard d’Estaing, en n’accordant plus la priorité à la force nucléaire stratégique, a envoyé un signal négatif à l’opinion. Même s’il doit renoncer à cette inflexion sous la pression des barons du gaullisme, le mal est fait : il n’incarne plus la fonction patriotique. Pendant ce temps, le candidat de l’Union de la gauche, François Mitterrand, la capte à son profit en devenant un candidat crédible pour l’élection de 1981 car il a réussi à rallier le parti socialiste à la dissuasion nucléaire lors de la convention sur la défense des 7-8 janvier 1978. François Mitterrand est alors en capacité d’attirer les voix d’électeurs de droite et du centre et de l’emporter sur son concurrent Giscard d’Estaing au second tour. François Mitterrand, élu président le 10 mai 1981, reprend à son compte la doctrine gaulliste de la dissuasion et exerce cette fonction patriotique pendant ses deux mandats présidentiels de 1981 à 1995. À l’inverse, Valéry Giscard d’Estaing est le seul président à avoir reconnu dans ses mémoires, publiées en 1988, qu’il n’aurait jamais appuyé sur le bouton déclenchant le feu nucléaire: « Quoi qu’il arrive, je ne prendrai jamais l’initiative d’un geste qui conduirait à l’anéantissement de la France ». Il ne pouvait plus incarner la fonction patriotique et espérer être réélu.
Progressivement, cette fonction patriotique voit son rôle se réduire à la fin de la guerre froide avec la dissolution du pacte de Varsovie (31 mars 1991) suivie de la dislocation de l’URSS le 25 décembre 1991. La grande menace militaire contre l’Europe a disparu. La guerre va s’effacer progressivement de l’univers mental des Européens. Le ralliement des Européens à la nouvelle doctrine de l’OTAN, lors du sommet de Rome des 7-8 novembre 1991, consistant à mener des opérations de maintien de la paix, les oblige à professionnaliser leurs armées pour leur permettre de mener des opérations extérieures. Les présidents français vont engager des opérations militaires extérieures (OPEX) qui n’ont eu que peu d’influence sur leur popularité.
L’irruption de la guerre en Ukraine bouleverse cette fausse quiétude des Européens. Elle surprend la France qui se trouve en campagne électorale pour les présidentielles d’avril 2022. Le président Emmanuel Macron, qui vient de présenter sa candidature pour un second mandat, continue d’exercer son mandat de président et doit s’occuper en priorité de cette grave crise internationale. Les instituts de sondages constatent une hausse des intentions de votes pour le président et attribuent ce regain de popularité à un « effet drapeau ». C’est en réalité le retour de la fonction patriotique. Emmanuel Macron est celui qui incarne le mieux cette fonction pour de nombreux électeurs.
Il a jusqu’à présent réussi un sans faute. Il publie le 24 février une « Adresse aux Français » lors de l’attaque militaire russe contre l’Ukraine pour expliquer à ses concitoyens les enjeux de cette guerre, les conséquences géopolitiques et de conclure « Je veux vous dire ma détermination à vous protéger, sans relâche. Protéger nos compatriotes exposés en Ukraine, protéger tous les Français et prendre les décisions qui s’imposeront quant aux conséquences directes et indirectes de cette crise ».
Dans son allocution solennelle du 2 mars 2022, il revient sur son rôle protecteur: « Je n’ai et n’aurai qu’une boussole : vous protéger » et montre l’importance des enjeux face : « à ce retour brutal du tragique dans l’Histoire, nous nous devons de répondre par des décisions historiques » et de promettre de continuer l’effort de défense engagé dès son arrivée au pouvoir : « Notre pays amplifiera l’investissement dans sa défense décidé dès 2017 ». Il n’oublie pas sa présidence européenne en déclarant que « notre défense européenne doit franchir une nouvelle étape ».
Cette incarnation de la fonction patriotique s’est traduite dans les sondages par une progression de six points dans les sondages du candidat Macron en une semaine en atteignant 30% le 7 mars (sondage le baromètre OpinionWay – Kéa Partners pour « Les Echos » et Radio Classique). Il a donc 12 points d’avance sur Marine Le Pen dont le score reste stable à 18%. La crise ukrainienne a indéniablement fait progresser la popularité du président.
La réapparition de la guerre sur le territoire européen a provoqué le retour de la fonction patriotique avec laquelle il va falloir désormais compter.
Patrice Buffotot
Chercheur en relations internationales et en politique de défense comparée.
Directeur de l’Observatoire Européen de Sécurité.
Ancien auditeur à l’IHEDN (39è session IHEDH)