C’est pas du droit, c’est de la morale!

C’est une exclamation qu’on entend couramment ces jours-ci, sans que cela ne soulève la moindre question ni la moindre indignation. Ainsi sur CNews la semaine dernière, Marlène Schiappa face à Éric Zemmour déclarait tranquillement que la devise de la République :
«
Liberté, Égalité, Fraternité » n’avait rien à voir avec la morale ! Et la même secrétaire d’État s’indignait quelques jours auparavant qu’on puisse aller voir le film : J’accuse ! de Roman Polanski, et ce au nom de la morale ! On ne rêve pas…

Ces jours-ci , c’est l’affaire Griveaux qui occupe la classe politico-médiatique. On se trouve face à une indignation unanime, et contrairement à ce que pourrait penser le sens commun, ce n’est pas l’acte de Griveaux qui est mis en cause, mais ceux qui le font connaître. Il est pourtant dit et répété depuis des années que se mettre en scène dans une vidéo et l’envoyer est un acte dont l’auteur est responsable. Il est vrai que Monsieur Griveaux doit mépriser le sens commun puisqu’il a déclaré que les gens qui roulaient au diesel et fumaient des clopes étaient des ploucs …

Ajoutons à tout cela, pour faire bonne mesure, que si l’on s’aventure à déclarer que la PMA pour les femmes seules ou les lesbiennes pose une question morale, la même classe politico-médiatique vous répond que c’est un droit et que vous pouvez circuler !

Je pense au contraire que ce qu’on appelle le droit ne peut être séparé de la morale. Je me situe ce faisant dans la ligne d’Aristote, de Thomas d’Aquin, de Leo Strauss, de Michael Sandel. Le droit en effet dit ce qui est juste, c’est-à-dire ce qui établit la justesse dans les relations humaines. Il établit ces conditions du bien vivre et du bien agir. Il objective par conséquent dans la société humaine, les rapports justes entre les personnes. Il met en œuvre une morale.

Reprenons les trois mots de la devise républicaine. Il est évident que la liberté est une valeur morale : il est bon d’être libre car cela permet de vivre humainement. L’égalité est une valeur morale, car elle accomplit l’égale dignité de chacun. La fraternité est une valeur morale, car elle permet de mettre en œuvre le souci de l’autre. On ne peut décidément pas séparer le droit et la morale.

Il est utile à ce sujet de revenir sur la controverse entre John Rawls, auteur de la célèbre Théorie de la justice, et Michael Sandel, qui dans son livre Le libéralisme et les limites de la justice faisait remarquer à Rawls que ce dernier présupposait le bien alors qu’il déclarait l’exclure de toute réflexion sur le juste. Pourquoi, déclare Sandel, faudrait-il que la vie en société exclue toute conception morale ou religieuse ? Sandel prend deux exemples qui sont toujours actuels. Concernant l’avortement, Rawls déclare que ceux qui y sont opposés ne doivent pas soutenir publiquement leur position, mais Sandel lui rétorque que cela signifie que ceux qui sont favorables ne doivent pas non plus soutenir publiquement leur position !

Le même raisonnement vaut pour la question de l’homosexualité. Si on la condamne, cela ne peut être fait publiquement mais dans ce cas on ne peut pas davantage la défendre publiquement. Et Sandel fait remarquer fort justement à Rawls que ceux qui ont milité pour l’abolition de l’esclave l’ont fait au nom de valeurs chrétiennes aux États-Unis. Rawls le reconnaît et dit que Martin Luther King s’appuyait sur la conception de la loi naturelle chez Thomas d’Aquin ! On peut donc demander aux disciples de Rawls pourquoi ils évacuent la loi naturelle et le sens commun. Décidément le droit, c’est de la morale !

Jacques Rollet

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