La question du mal telle qu’elle est envisagée en philosophie et dans la théologie chrétienne est largement occultée. L’actualité nous montre différents maux : assassinat de femmes, pédophilie – question sur laquelle on note d’ailleurs une nette différence d’avec les années 70, où certains écrivains se vantaient dans les média de pratiques pédophiles. Il est nécessaire de s’interroger à nouveaux frais sur l’existence du mal comme conduite humaine, et de percevoir que des disciplines « séculières » comme la sociologie sont hantées par la question du salut, par la volonté d’extirper le mal de la société. Cinq temps vont baliser notre réflexion : pourquoi cette occultation du mal ? Nous nous interrogerons ensuite sur l’omniprésence des prescriptions d’ordre moral dans la vie quotidienne, puis sur la question du salut en sociologie. Nous envisagerons l’apport des psychologues, et la question du mal en théologie.
1) Pourquoi l’occultation du mal ?
On parle très peu du mal dans nos sociétés développées, mais on nous entretient chaque jour de différents maux : assassinats de femmes, pédophilie, réchauffement climatique, colère sociale, etc. Il y a manifestement un décalage entre l’omniprésence de la dénonciation de phénomènes « négatifs » et l’absence totale de nomination du mal comme phénomène du à la volonté de l’homme, et au besoin qu’il en fait d’être délivré de ce mal. Cela m’apparaît d’autant plus fortement à la relecture du livre du théologien allemand Hans Urs von Balthasar, Le chrétien Bernanos. Des ouvrages tels que Le journal d’un curé de campagne ou encore Sous le soleil de Satan nous instruisent sur la présence du mauvais dans le monde, et relire aujourd’hui L’imposture nous fait mieux comprendre la mauvaise foi de certains intellectuels. Il y a une incontestable occultation de la responsabilité personnelle dans l’accomplissement du mal, car la passion victimaire s’est partout répandue. Chacun se déclare victime et non responsable. Comme le disait René Girard, le christianisme a « réussi » au-delà de toute attente, car tout le monde se veut victime innocente comme Jésus de Nazareth.
2) La prescription au quotidien
Sans nommer le mal comme tel, on dénonce chaque jour des maux et on est prié de se conformer aux normes qui sont données : il faut isoler sa maison, ne pas boire d’alcool, ne pas dépasser 80 km/h, trier ses ordures ménagères, être favorable aux « minorités » comme le demande le mouvement LGBT, sous peine d’être taxé de « fasciste » ou de « réac ». J’entendais cette semaine un individu déclarer à un militant opposé à la PMA qui lui tendait un tract : « Je ne parle pas à des cons ». Je présume que cet individu était favorable à la liberté d’expression et au reste. Les tolérants se révèlent très favorables à la censure. On évoque par ailleurs une fin du monde proche à cause du réchauffement climatique. La problématique du salut est sous-jacente à toutes ces prescriptions.
3) La question du salut en sociologie
Le récent ouvrage du sociologue Wiktor Stoczkowski La science sociale comme vision du monde : Émile Durkheim et le mirage du salut (Gallimard) est consacré à la démarche du père de la sociologie française. L’auteur décortique les grandes œuvres telles que Le suicide, Les formes élémentaires de la vie religieuse, De la division du travail. Il pointe le manque de rigueur dans l’enquête avec une impitoyable sagacité. Il montre avant tout que Durkheim voulait sauver la société de l’intérieur de celle-ci sans faire appel à un sauveur transcendant. L’auteur étend l’analyse à la fin de son ouvrage aux démarches de Bourdieu et de Bruno Latour, montrant qu’ils sont également habités par la volonté de sauver la société.
4) L’apport des psychologues
Je viens également d’achever la lecture de l’ouvrage de Jean-Luc Ployé L’approche du mal (Grasset). Il a étudié des tueurs en série tels que Fourniret, Heaulme, Chanal. On constate à la fois l’existence d’enfances meurtries chez ces hommes et une dénégation du mal commis, une fermeture totale, au moins pour Fourniret et Chanal. Ployé nous révèle à la fois son trouble face à de tels individus (particulièrement en ce qui concerne Fourniret) et le fait que ce sont des êtres humains.
5) Le mal en théologie
Il n’est pas question de traiter ici in extenso d’un tel sujet. Je désire simplement rappeler que pour la foi chrétienne, le mal est commis par des être humains, qui sont responsables de leurs actes même si des enfances maltraitées sont à la base des dérives de ces adultes. Une certaine sociologie veut tout expliquer par les conditions sociales. Mais il faut bien rappeler que l’immense majorité des pauvres n’est pas délinquante contrairement à ce que dit la sociologie bourdieusienne ou apparentée. L’homme est appelé à reconnaître sa responsabilité dans l’action mauvaise pour être sauvé par celui qui a été crucifié alors qu’il était innocent. Nous sommes appelés à faire la vérité pour venir à la lumière.
Jacques Rollet