La pensée de Paul Ricoeur est-elle soluble dans le macronisme?

Deux ouvrages parmi d’autres ont retenu mon attention en ce qui concerne le rapport entre le nouveau président de la République et le philosophe protestant Paul Ricoeur. Le premier est celui de l’historien François Dosse : Le philosophe et le président publié chez Stock. Dosse a écrit une biographie intellectuelle de Ricoeur (Paul Ricoeur: les sens d’une vie, La Découverte, 1999). Pierre-Olivier Monteil publie quant à lui : Macron par Ricoeur, le philosophe et le politique, Lemieux éditeur, (125 p).

Je voudrais m’attacher à trois points : Pourquoi ce besoin de relier les deux personnages ? Quelle est cette volonté de trouver des homologies ? Quelles sont les différences reconnues – avec modération notons-le – par nos auteurs?

1° Si on excepte l’ouvrage de Taguieff auquel j’ai consacré un article, ouvrage très critique à l’égard de Macron, les deux cités ci-dessus sont louangeurs et témoignent de manière étonnante de cette volonté de retrouver dans la politique de Macron une inspiration qui viendrait de Paul Ricoeur. Le nouveau président témoigne-t-il dans sa démarche d’un souci philosophique à ce point évident ? Je pense personnellement que nos deux auteurs sont en accord idéologique et politique avec Macron, et vont chercher dans l’oeuvre abondante de Ricoeur des éléments de justification philosophique qui donnent à l’acteur politique une consécration intellectuelle.

2° Le deuxième élément notable réside dans la volonté systématique de trouver des homologies quasiment structurales entre les positions philosophiques de Ricoeur et les positions politiques de Macron. La clé la plus obvie réside dans l’adhésion à la social-démocratie de la part du protestant Ricoeur, qui se reconnaissait dans la démarche du protestant Rocard et la démarche sociale-libérale de Macron, mais c’est là que va résider le problème. Dosse n’en fait pas état, mais Pierre-Olivier Monteil admet avec beaucoup de retenue des différences.

3° On peut en effet relever plusieurs pages significatives dans le livre de Pierre-Olivier Monteil : page 16, il reconnaît que Macron va entretenir le plus longtemps possible l’ambiguïté avant de trancher dans un sens ou un autre. Ricoeur serait perplexe devant cette attitude (je précise que j’ai été étudiant de P. Ricoeur, dont j’ai suivi Boulevard Arago, à la Faculté protestante de théologie, les séminaires sur Heidegger et Kant. Je précise également que Pierre-Olivier Monteil a été mon étudiant pendant toute une année dans ma conférence de méthode de science politique à Sciences Po Paris.)

Page 23, l’auteur nous donne une citation du nouveau président estimant que : « L’argent ne donne pas tous les droits, que l’accumulation du capital n’est pas l’horizon indépassable de la vie personnelle ». Emmanuel Macron a par ailleurs vanté le désir de devenir milliardaire … ce que ne rappelle pas Monteil.

Page 37, Monteil reconnaît que certains commentateurs ont fait remarquer que la référence de Macron était Machiavel plus que Ricoeur. Effectivement , je ne pense pas que le philosophe protestant aurait approuvé la préparation de la candidature dans le silence de Bercy. Pour parler comme Habermas, Macron a pratiqué l’agir stratégique et non l’agir communicationnel. Michèle Cotta dans son dernier livre qualifie Macron de « jeune requin cynique ».

Page 44, le Conseil économique, social et environnemental est donné en exemple. Les analystes de politique publiques mettent plutôt en valeur son inutilité à moins qu’il faille considérer que recaser des hommes politiques battus aux élections soit le fin du fin de l’innovation politique… Le rôle accordé à Jean-Paul Delevoye par Macron sent la vieille politique (il a présidé le commission d’investiture d’En marche).

Page 64, Monteil s’interroge sur l’allégeance absolue  exigée par le nouveau président de la part de ceux qui ont été élus. Le questionnement aurait pu être plus poussé …

Page 78, l’auteur note que Ricoeur était critique de l’économie libérale et de la place qu’elle tenait dans nos sociétés. La différence avec Macron apparaît à qui veut la voir.

Page 84, Monteil note que Ricoeur insistait sur l’importance des relations horizontales dans la société civile et la société politique. Pour l’instant Macron est dans la verticalité.

On peut pour conclure, considérer qu’en matière politique et économique, Ricoeur serait beaucoup plus réservé à l’égard du président que Dosse et Monteil ne le laissent entendre. Attendons la suite.

Jacques Rollet

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